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Incertitude et ambiguïté du statut de l'expert, pourquoi ? 

                                         D'abord, parce que l'expertise judiciaire n'est pas une profession.


Les experts judiciaires ne sont pas regroupés dans un ordre mais seulement inscrits sur des listes attestant de leur compétence. Ensuite, parce que si les experts sont missionnés par un juge et non par les parties et s'ils agissent pour le compte de la juridiction qui les a désignés, ils sont pourtant rémunérés par les parties, et la Cour de Cassation refuse régulièrement de mettre à la charge de l'Etat l'obligation d'apporter sa garantie au paiement des honoraires de l'expert, contredisant ainsi l'idée de participation de l'expert au service public de la justice.

Les experts judiciaires ne sont pas non plus des auxiliaires de justice, car ils n'exercent pas l'expertise judiciaire à titre de profession habituelle.
                            Enfin, on l'a dit, ils n'ont pas le monopole de l'expertise en justice.

Cette ambiguïté est loin d'être écartée par le système de responsabilité applicable à l'expert : la spécificité de sa mission n'est pas révélée, en effet, par un régime de responsabilité spécifique. Certes, au-delà de certaines sanctions d'ordre procédural qui atteignent son travail, comme la nullité ou l'inopposabilité du rapport d'expertise, l'expert judiciaire peut encourir des sanctions personnelles ne concernant que lui et pour lesquelles on utilise parfois le terme de "responsabilité disciplinaire" :
suspension provisoire, retrait ou radiation de la liste ; elles sont conditionnées par la possession du titre d'expert judiciaire qui, depuis est conféré aux techniciens
de par leur inscription sur une liste. Mais, ces sanctions sont des sanctions administratives et ne s'analysent pas en une véritable responsabilité, comprise comme l'obligation qui naît pour une personne de réparer le dommage causé à autrui.Elles relèvent de la discipline propre imposée à l'expert judiciaire, dont le premier président et le procureur général assurent le contrôle,
en recevant les plaintes et en faisant procéder à tout moment aux enquêtes utiles.Une sanction prononcée dans ce cadre n'exclut pas l'exercice parallèle d'une action en responsabilité civile.
Si l'on écarte ces sanctions administratives, on constate alors que la responsabilité de l'expert à raison d'un préjudice qui serait lié à l'exercice de sa mission est une responsabilité civile ordinaire, cette responsabilité, qui aboutit à une condamnation personnelle de l'expert au paiement de dommages-intérêts, est la responsabilité de droit commun par excellence.
Ce constat de l'absence d'originalité de la responsabilité peut être fait, d'ailleurs, de façon identique, en matière de responsabilité pénale de l'expert.
On peut imaginer en effet qu'un expert judiciaire engagerait une responsabilité pénale à l'occasion de l'exercice de sa mission s'il commettait une indélicatesse ou une malhonnêteté pénalement répréhensible.

Or, ni le Code de procédure pénale, ni le Code pénal ne prévoient d'incrimination spéciale concernant les experts judiciaires ; il faut donc se contenter du droit commun
là encore, ce qui marque l'absence totale de spécificité de la responsabilité pénale de l'expert ; La seule exception tient du Code pénal qui prévoit et réprime l'infraction de corruption passive dans le cadre des infractions constituant des entraves à la justice : l'expert est spécialement visé par le texte, en même temps que le juge, le juré et l'arbitre ; encore ne s'agit-il même pas de l'expert judiciaire, mais de l'expert en général... Ce n'est pas dire que des incriminations spéciales seraient inutiles, car précisément, parmi les infractions qu'un expert, en raison de sa mission, pourrait être plus facilement appelé à commettre, certaines soulèvent quelques difficultés de qualification.

Ainsi par exemple, la violation du secret professionnel que l'expert est fréquemment appelé à connaître, mais qui doit céder devant le juge, voire parfois devant des tiers qui collaborent avec lui, ce qui nécessite des aménagements ;ainsi encore du faux dont l'expert se rendrait éventuellement coupable : s'agit-il d'un faux en écriture privée, ou publique, ce qui suppose alors que l'écrit constitué par le rapport de l'expert est un acte public ; ou bien encore, l'expert "menteur", en cas de mensonge à l'audience, pourrait-il être sanctionné sur le fondement du faux témoignage, alors qu'il n'est pas témoin ?